Recevoir inconditionnellement

J’ai toujours cru que nous vivions dans une société plus ou moins égalitaire.Je ne comprenais pas forcément les combats autour du féminisme, car depuis ma perspective je ne voyais pas tellement de différences entre les hommes et les femmes.J’ai été éduqué de la même façon que mon frère, j’ai grandi avec des copains qui semblaient avoir les mêmes droits que moi.
Enfant casse-cou et aventurière, je n’avais pas beaucoup de peurs, alors évidemment je ne comprenais pas tous cesdiscours sur ces femmes qui n’arrivaient pas à prendre leurs places, et qui n’osaient pas expérimenter, tenter, sortir de leur zone de confort.Alors, comme le genre ne semblait pas être un problème, j’ai attribué cela à la personnalité.
Une personnalité plus entreprenante ou plus craintive.Une personnalité plus extravertie ou introvertie.Bref, pour moi, tout se jouait au niveau de l’individu et non au niveau du système.
Et puis, j’ai fini par comprendre que parfois l’injustice ne prenait pas toujours une forme évidente de violence, d’injures, ou de discours rabaissant.La plupart du temps, l’injustice est tellement pernicieuse, qu’elle est intégrée, tellement profondément ancrée en nous, qu’elle devient la norme.J’ai compris que tout n’était pas pleinement équitable, quand j’ai observé la difficulté pour les femmes de recevoir, pleinement, et sans culpabilité.
Et je me suis rendu compte que toute la vie, la société nous avait appris à donner.Notre temps.Notre amour.Notre corps.Notre espace. Donner, inconditionnellement.Faire passer l’autre avant soi, toujours.Et pourtant, personne ne nous apprit, personne ne nous a dit de façon consciente “Tu dois faire cela, ou ceci”.Et c’est là ou cette réalisation me fait mal. Car, nous sommes nos propres bourreaux.
Nous nous sommes imposé des normes et des règles de ce qu’on imaginait adapter.Il fallait rendre l’appareil, être juste, mériter de recevoir, et pouvoir donner en échange.Le fameux donnant donnant.Alors, recevoir oui, mais avec l’injonction silencieuse du “faire plaisir” “sans prendre trop de place”En fait, je crois que la difficulté à recevoir dépasse la notion de genre, car nous sommes tous issus d’une matrice commune, qui bien qu’individualiste, valorise le sens du devoir, du sacrifice presque.
Mais je pense qu’en tant que femme sommes sujettes à plus d’injonction sur l’instinct maternel, sur la dimension naturelle de l’écoute et la douceur féminine.J’ai toujours cru que j’étais une personne libre et indépendante, mais combien de fois ais je interrompu quelque chose que je faisais pour venir en aide à l’aide?Combien de fois, j’ai fait passer mon besoin, après l’envie de l’autre et en m’illusionnant sur le fait que j’étais “à l’écoute” !Car à l’écoute je l’étais, toujours.D e tous. Des autres. Et trop peu de moi.
Et avec le développement personnel, j’ai appris à donner.Encore plus.Inconditionnellement.J’ai appris à donner sans rien attendre en retour.J’ai appris l’amour du don.Et la magie du soutien universel.Mais quelque chose n’était pas juste dans l’équation.Je ne savais pas recevoir inconditionnellement.Recevoir inconditionnellement ce n’est pas seulement se laisser inviter à un café, ou permettre à quelqu’un de nous aider, car nous savons que tôt ou tard nous pourrons rendre l’appareil.
Non, cela va plus loin que cela.Recevoir inconditionnellement c’est accepter ce que l’autre a à nous offrir, mais sans savoir si nous pourrons lui offrir la même chose.C’est accepter le don de l’autre sans calcul et sans culpabilité.C’est accepter de se placer au centre du don.Accepter que parfois l’action soit unilatérale.Vers nous.Vers soi.
Et ce n’est pas facile.Car, tout en nous, tout dans le système, tout dans l’éducation nous pousse à donner quelque chose en échange.L’affection.L’écoute.L’amour.La tendresse.L’argent.Le temps.Comme si nous n’étions pas assez dignes pour simplement recevoir.Comme si tout ce que nous étions au fond de nous n’était pas assez.Comme si nous devions donner des preuves que nous méritons des signes de reconnaissance.
Je ne dis pas d’être ingrat et de ne pas retourner une faveur ou un service.Je dis seulement que je crois que nous sommes tellement dures et tellement exigeant.es envers nous même.Je dis seulement que le monde serait tellement plus simple si nous nous permettions de recevoir pleinement, sans chercher à savoir quoi faire pour trouver l’équilibre parfait avec ce que nous avons reçu, et ce que nous pourrions hypothétiquement donner.
Sortons des preuves, et acceptons de recevoir, pas parce que nous rendrons plus ou moins tard ce que nous avons reçu, ou parce que nous méritons une démonstration d’intérêt quelqonc.Mais simplementacceptons de recevoir, car nous sommes.
Nous sommes, et nous sommes assez.Alors je t’invite à accepter de recevoir, pleinement et inconditionnellement, pas depuis un espace mental qui pèse, soupèse, compare, mais depuis un espace du cœur qui sait que tout est juste, avec ou sans mérite.